L’éloge du problème

Après la crise sanitaire qui a rendu nos existences dramatiques, nous voilà confrontés à une nouvelle crise humanitaire liée au conflit en Ukraine. 

Nous ne pouvons pas encore mesurer l’impact politique et économique de cette invasion. Nous espérons que dans les prochains jours les parties de ce conflit auront trouvé une solution la plus pacifique possible et surtout immédiate. Mais nous ne pouvons avancer aucune certitude.

C’est bien cette question que nous sommes obligés de nous poser : Quelles sont les certitudes que nous gardons face à des crises aussi importantes qui ébranlent notre existence ? 

De plus, vis-à-vis de nos jeunes, de nos élèves : Quel avenir allons-nous leur transmettre ? Quelles certitudes, en tant qu’adultes, pouvons-nous encore garder pour leur communiquer ?

La crise sanitaire, liée à la Covid-19, a changé plusieurs paramètres de notre existence. En particulier, notre capacité à avoir des certitudes basées sur nos connaissances scientifiques. En raison de ce basculement, notre volonté à nous projeter dans l’avenir est devenue beaucoup plus difficile.

Un tableau plus sombre nous vient des enquêtes sur la fragilité psychologique de nos jeunes générations : 

  • La destruction de cadres de vie spatio-temporels (école, maison, centres sportifs ou culturels, journée, semaine, vacances, le temps de loisir).
  • Le changement dans la relation avec autrui : interdiction de se voir ou de se retrouver en groupe. Les réseaux sociaux ont pris une place considérable dans leur vie sociale, familiale et scolaire.
  • Le climat est devenu de plus en plus anxiogène durant ces mois sans que nos jeunes puissent trouver une issue.

Notre propos n’est pas de dresser un énième tableau noir ou désespéré. En tant qu’adultes, nous avons le devoir de comprendre les causes profondes de ce mal-être de nos jeunes. Avons-nous commis des erreurs ? Comment pouvons-nous repartir ?

Il y a plusieurs raisons qui rendent encore plus difficile, dans notre vie quotidienne, notre tâche de transmission éducative. Nous en évoquerons deux.

La première concerne la crise des valeurs éducatives que nos sociétés traversent depuis des décennies. Ce qui se traduit par l’impuissance ou une grande difficulté pour nous, adultes, à proposer un sens clair et global aux jeunes générations. 

Deuxièmement, une perte de confiance en la science et dans sa capacité à nous fournir des certitudes.  En effet, durant la crise sanitaire, les connaissances scientifiques n’ont pas été en mesure de nous offrir des réponses claires et sûres face aux nombreuses questions sanitaires que l’on se posait. Nous sommes confrontés aux mêmes incertitudes que si nous nous posions les grandes questions existentielles sur: la vérité, la liberté, la justice, l’amitié, le sens de l’existence, etc….

Cependant, il y a un autre facteur qui a rendu notre conception éducative encore plus chaotique. Notre capacité d’éducation basée sur la protection de nos enfants de tout problème. 

Ce principe est juste quand il s’applique au danger immédiat ou prévisible d’une situation.

Mais il est important de bien faire la différence entre protéger et préserver (nos enfants). Nous avons l’obligation de les protéger de tout danger mais nous ne pourrons malheureusement jamais les préserver des problèmes qui se présentent à eux. En effet, la vie même est un problème en soi, (l’étymologie de mot problème vient du grec « probállô » se jeter en avant). Le problème est ce qui nous fait avancer. Nous considérons ordinairement, les problèmes comme exactement le contraire. C’est ce qui freine notre élan, notre énergie. Un jeune le voit comme un obstacle souvent insurmontable. C’est pour cette raison que l’école, en général, est vécue avec angoisse. Car dès que l’on entre, c’est un « problème ». C’est un problème en/par elle-même. Par exemple, un(e) élève qui désire apprendre une certaine matière, devra se poser le problème de comment il/elle va l’apprendre ? Comment il/elle va acquérir les connaissances nécessaires ? Ce qui va l’aider justement, c’est sa capacité à apprendre c’est-à-dire à se poser des problèmes, des questions qui lui permettront d’avancer dans ses connaissances et compétences. 

Notre responsabilité est d’accompagner nos jeunes dans leur projection, dans la découverte d’une vision – d’un sens – du monde non pas comme une réalité prédéfinie et fermée. Mais bien au contraire, nous devons valoriser leur capacité à la découvrir et les inciter à rechercher à s’émerveiller face à ce qu’elles/ils découvrent. Combien des fois, nous souhaitons que notre enfant devienne « autonome » ? Savons-nous nous éclipser afin que notre jeune prenne la mesure et la capacité de « se mettre en jeu » ?

En tant que parents, nous « évaluons » nos enfants par « notre » prisme de la réussite : scolaire, professionnelle et sociale. Il n’est pas rare que nous avons des doutes quant leur choix. Car « ils font rarement ce que nous disons ». Nous avons, peut-être, raison. Mais une raison qui ne les aide pas à se construire est une raison « faible », voire presque inutile. 

Ne soyons pas inquiets de leurs choix. Mais surtout de notre peur de les voir choisir et de leur peur qui les tétanise à choisir. 

Bien au contraire, encourageons-les à aller vers l’avant…. donc à vouloir se poser des problèmes et surtout acceptons qu’ils nous posent des problèmes.

Silvio Guerra

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